Par Abderrazaq Mihamou (Expert Digital, Maroc)
Le Maroc est secoué par une vague de contestations inédite, portée par une jeunesse connectée et désabusée: la Génération Z 212. Utilisant les réseaux sociaux comme caisse de résonance, notamment Discord pour s’organiser, ce collectif a mis en lumière des problèmes structurels et profonds, frappant de plein fouet l’inertie perçue de la classe politique. Leurs revendications sont claires, légitimes, et touchent au cœur du pacte social : l’amélioration des systèmes de santé et d’éducation publics ainsi que la lutte contre la corruption.
Des Revendications Légitimes au Cœur de la Fracture Sociale
La « Gen_Z212 » (faisant référence à la Génération Z et à l’indicatif téléphonique du Maroc, +212) s’est levée face à une réalité chiffrée alarmante :
- Chômage des diplômés : Les chiffres récents montrent un taux de chômage particulièrement élevé chez les diplômés du supérieur, symbolisant une promesse d’ascension sociale brisée.
- Les « NEET » : Une part significative des jeunes Marocains (15-24 ans) ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (Not in Education, Employment, or Training), révélant un décrochage social et psychologique massif.
- Défaillance des services publics : Malgré des budgets en hausse, notamment dans la santé, les citoyens, en particulier dans les régions défavorisées, continuent de faire face à des soins défaillants, un drame sanitaire ayant même servi de catalyseur à la mobilisation.
En brandissant ces réalités, le mouvement a mis le doigt là où ça fait mal, forçant le débat public à se concentrer sur l’urgence sociale et l’inefficacité des politiques publiques. Il s’agit d’un appel à un Maroc à une seule vitesse, pour paraphraser le Roi Mohammed VI, où la dignité citoyenne et la justice sociale ne sont pas de vains mots.
Le Piège des Manipulations Internes et Externes
Si l’élan de la jeunesse est sincère, un danger plane, souvent souligné par les observateurs et les médias pro-gouvernementaux : le risque de manipulation et de récupération politique.
- L’ombre de la violence et de l’instrumentalisation interne : Bien que le mouvement ait démarré pacifiquement, des épisodes de violences urbaines et d’actes de vandalisme ont rapidement fait surface en marge des manifestations. L’implication de mineurs et de « casseurs » dans ces débordements soulève des questions sur leur encadrement et une potentielle instrumentalisation par des éléments cherchant à discréditer la cause. Ce glissement vers la violence offre un terrain propice à la répression et détourne l’attention des revendications initiales.
- La récupération politique externe : L’anonymat relatif des fondateurs du collectif sur les réseaux sociaux alimente les soupçons de récupération par des partis politiques ou des groupes d’intérêts cherchant à déstabiliser l’exécutif, ou pire, par des acteurs étrangers dans un contexte géopolitique régional tendu (rappelé par le calendrier de la CAN et de la Coupe du Monde 2030, par exemple). Des arrestations pour manipulation de vidéos (diffusant des images de protestations étrangères comme étant marocaines) ont d’ailleurs eu lieu, illustrant la réalité de la désinformation.
La « GenZ 212 » se trouve ainsi à la croisée des chemins. Pour maintenir la légitimité de son mouvement, elle devra résister à la tentation de la radicalisation et affirmer son indépendance face à toute tentative de récupération, interne ou externe. Le message est passé, fort et clair ; il reste à savoir s’il pourra s’ancrer dans le temps sans se laisser dévoyer.
La légitimité des revendications est-elle suffisante pour protéger ce mouvement de la récupération politique et des dérives violentes ? Quel rôle les institutions et les partis traditionnels devraient-ils jouer pour canaliser cette colère et y apporter des solutions concrètes ?