C’est le titre du livre de Moulay Hicham El Alaoui, le cousin de l’actuel Roi du Maroc. Cet ouvrage est sorti en France récemment, aux Editions Grasset. Et sera Bientôt disponible au Maroc, ce qui prouve que le prince n’est pas si banni que ça dans le Royaume, comme le suggère le titre.
Que dire de ce livre ? J’avoue que je l’ai dévoré en quelques heures, car, il est bien écrit, et son style est très fluide. En effet, l’auteur maîtrise le français à merveille, et possède une érudition hors norme, à l’image du Roi Hassan II, qui à son époque jouissait d’une renommée internationale, et était respecté dans le monde entier, grâce à son intelligence, son sens de la répartie, et sa maîtrise de la culture française.
Sur le fond, j’avoue que j’ai du mal à suivre le prince. Car d’un côté on apprend dans le livre qu’il jouissait de tous les privilèges de la famille royale, et qu’il a réalisé ses rêves d’enfant, notamment à faire une carrière aux Etats-Unis où il a fréquenté les universités les plus huppées, comme Princeton, ou Stanford. Nonobstant, l’auteur fait des révélations surprenantes dans ce livre. Par exemple, il nous dit qu’il a appris par le médecin personnel de Hassan II, que ce dernier a reçu la tête de l’opposant marocain de l’époque dans un colis.
Et comment aussi Hassan II a tourné le dos à Saddam Hussein, pendant la guerre du Golfe alors que ce dernier avait une admiration sans bornes pour lui.
On peut lire dans les Pages 163 et 164 du livre : « Auparavant, à minuit moins cinq de la crise irakienne, le roi prononce un grand discours à la télévision pour adjurer Saddam de sortir du guêpier. Or, en privé, il nous dit, à Moulay Rachid et à moi : « J’espère que ce salaud ne m’entendra pas ! »
Politique jusqu’au bout des ongles, Hassan II n’a pas pratiqué la reconnaissance du ventre à l’égard de Saddam Hussein. Pourtant, le maître de Bagdad avait été le plus généreux de tous les soutiens extérieurs qui aidaient régulièrement son régime. Il donnait vraiment beaucoup, des cargaisons entières de pétrole. Il avait énormément d’estime pour mon oncle, pour sa double culture à cheval entre l’occident et l’orient, pour son habileté de roi alaouite sachant s’y prendre avec les démocraties occidentales. A son tour Hassan II le flattait d’avoir réalisé l’unité de son pays. Par ailleurs, tous deux étaient unis dans leur refus des positions syriennes. Mais cela n’allait pas plus loin. Hassan II payait mal en retour l’admiration que lui vouait Saddam Hussein. Il méprisait l’ »inculte de Bagdad ». »
On apprend aussi ce que tous les Marocains savent déjà, à savoir que le Prince Moulay Abdallah avait un grand penchant pour l’alcool, et les jolies femmes. D’après l’auteur c’est la domination du Roi Hassan II sur son père qui a poussé ce dernier à abuser de l’alcool. Car contrairement aux idées reçues, le prince Moulay Abdallah était un bon patriote, la preuve : il recevait chez lui tous les opposants politiques de Hassan II et a même évité la prison à certains.
A travers tout le livre on assiste à une guerre sans merci entre le Roi Hassan II et le prince Moulay Hicham, surtout quand ce dernier est passé sous la tutelle du monarque.
On peut lire dans la page 200 : « Hassan II a le sentiment que j’ai déjà fait une croix sur lui, publiquement. Ce n’est pas faux. J’ai tué le père pour la énième fois…En guise de représailles, il ne se contente pas de saboter mon projet immobilier. Il m’inflige, de surcroît, un redressement fiscal terrifiant. »
En effet, le prince exècre toutes les institutions marocaines qu’il trouve archaïques, il veut les dépoussiérer. Il veut supprimer ou limiter le pouvoir du « makhzen ». On peut lire dans la page 201 : « Mais si le roi jouait franchement le jeu libéral, s’il poussait de toutes ses forces le Maroc dans la mondialisation, ne créerait-il pas les conditions de sa propre perte ? La réponse n’est pas évidente dans la mesure où il convient de distinguer entre la monarchie et le « makhzen ». Si l’on arrivait à découpler les deux faces du régime, le « makhzen » pourrait périr mais la monarchie survivre, voire se réinventer. C’est une façon de dire que le système tel qu’il est ne sera se pérenniser. Pou perdurer l’institution monarchique devra faire de la part du feu en déliant son sort du « makhzen », qui est un empêchement dirimant à la modernisation économique du Maroc – et, donc à la modernisation du pays tout court. »
L’auteur nous explique aussi que le roi Hassan II, surtout après l’attentat de Skhirat, était au plus mal. Lui qui méprisait, le roi de Jordanie, qu’il ne considérait pas comme un vrai roi, car ce n’était qu’un bédouin qui ne descendait pas d’une grande famille royaliste comme lui. Le roi n’avait aucune considération non plus pour Yasser Arafat qu’il surnommait le SDF.
Pour se racheter une bonne conduite auprès de son peuple, le roi Hassan II a eu cette idée de génie : donner leurs fiertés aux marocains. Pour cela, il a imaginé la marche verte pour récupérer le Sahara occidentale. Mais les choses vont mal tourner pour Hassan II, car la bataille pour récupérer le Sahara s’est révélée très chère, malgré la construction du mur.
Après la mort du roi Hassan II, on peut lire dans la page 227 : « En septembre 1999, deux mois après l’accession de Mohamed VI au trône, des manifestations éclatent au Sahara occidental. Elles sont durement réprimées par le ministre de l’Intérieur Driss Basri, qui est alors limogé par le jeune roi. Mais, comme l’attestera la suite sans fin de ce dossier épineux, le limogeage de Basri ne répond pas à la question de savoir ce qui arriverait si le Maroc perdait « son » Sahara. Lors de ma dernière entrevue avec l’opposant Abderrahim Bouabid, peu avant sa mort en 1992, il m’avait dit : « le problème du Sahara Occidental ne pourra vraiment être résolu que par la démocratisation du Maroc tout entier. » Message transmis au roi Mohammed VI.
Même si l’auteur ne nous donne vraiment pas de solution ou de recette magique pour faire sortir le Maroc de son marasme économique et social. Le livre est plein d’anecdotes, et on y apprend beaucoup de choses sur les grands de ce monde que le prince a côtoyés.
On rit beaucoup quand l’auteur nous parle de la rencontre du roi Hassan II avec le président algérien. Le roi dit à ce dernier en se tournant vers ses enfants : « Je vous présente mes dauphins. » Le président algérien répondant du tac au tac en se tournant vers ses généraux, dit au roi : « Je vous présente mes requins ! »
Ou encore, Hassan II qui vient d’acquérir une nouvelle Mercedes avec des sièges chauffants. Il s’amusait à augmenter la température des sièges pour voir la réaction de ses courtisans assis dans l’arrière de la voiture. Evidemment, ses passagers avaient chaud dans le derrière, mais n’osaient pas le dire au roi. Ce dernier prenait un malin plaisir à les torturer, sauf un certain Lahlou qui a réagi au quart de tour en disant au roi : « Mais Sa majesté, j’ai le feu au cul. » Le roi était mort de rire !
Page 315 et 316 : « Mohamed VI ne peut plus gouverner de la sorte. Il doit lever un certain nombre d’obstacles. Tout en haut de la liste figure la question des droits de propriété. La sécurité juridique présuppose une justice incorruptible, ce qui n’est pas le cas au Maroc et ne le sera pas tant que le système n’aura pas été démocratisé de fond en comble. Ensuite, le « makhzen » ne s’est toujours pas désengagé de la sphère économique ; et puisque la monarchie se confond avec le « makhzen », elle reste embourbée dans le statu quo ante. Mais la nouvelle donne politique ne se prête plus à un règne « néo-patrimonial » à l’ancienne, c’est à dire à l’achat des loyautés et au trafic d’influence entre gens « bien nés ». Dans une économie de savoir, les meilleures places doivent revenir aux détenteurs de connaissances utiles. On est récompensé pour ce que l’on sait et non plus pour qui l’on connaît de bien placé, idéalement le roi en personne. »
Pour le prince, l’avenir du Maroc passe par la démolition du « makhzen ». Il faut en finir avec un magasin devenu un self-service. Et réaménager la maison du pouvoir afin que tous les Marocains s’y sentent à l’aise pour apporter la pierre de l’édifice.
Le Prince n’a pas envie d’être le calife à la place du calife. Il a tout simplement une passion envers son pays : Le Maroc.
Mustapha Bouhaddar
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