Alors que le gouvernement de Justin Trudeau fait de la lutte contre les changements climatiques un cheval de bataille en vue de soigner l’image du Canada qui aurait été écornée à l’international par les Conservateurs, qui étaient de fervents défenseurs de l’exploitation des énergies fossiles, le projet d’oléoduc «Energie Est» de la compagnie pétrolière «Trans Canada» vient brouiller les cartes en suscitant, ces derniers jours, une vive controverse entre les provinces pétrolifères de l’ouest du pays et celle du Québec.
Même si «TransCanada» affirme que cet oléoduc, d’une longueur de 4.600 Km qui transportera du brut de l’Alberta et de la Saskatchewan (ouest) vers les raffineries de l’Est du Canada et un terminal maritime au Nouveau-Brunswick en passant par le Québec, va générer des milliers d’emplois et des opportunités économiques tangibles tout au long de son tracé, cela ne semble pas convaincre les responsables québécois qui continuent de s’y opposer, car il présente, selon eux, de grands risques sur le plan environnemental avec peu de retombées économiques pour la province.
Dossier épineux pour Trudeau
Si d’aucuns confirment que l’année 2016 sera une année charnière dans le domaine climatique et environnemental, nombre d’observateurs estiment que le gouvernement Trudeau aura du pain sur la planche, notamment avec la polémique née autour de ce projet, surtout que le gouvernement québécois de Philippe Couillard a annoncé qu’il lancera une étude pour prendre une décision à propos de ce pipeline, dont le coût est désormais estimé à 15,7 milliards de dollars.
Dans ce cadre, le ministre québécois de l’énergie et des ressources naturelles, Pierre Arcand a indiqué que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) mènera une évaluation du projet, sans toutefois en préciser la date, sachant que le BAPE n’aura pas entre ses mains aucune étude d’impact dudit projet, la compagnie pétrolière ayant refusé de la soumettre au ministère québécois de l’Environnement.
A ce propos, M. Arcand a promis qu’une étude «sereine et minutieuse» serait menée par un comité indépendant pour étudier les bénéfices économiques de l’oléoduc destiné surtout à l’exportation du pétrole des sables bitumineux vers les marchés européen et indien.
Cependant, il reste à savoir à quoi ressemblera cette évaluation environnementale du plus important projet de pipeline en développement en Amérique du Nord, alors que l’avis du BAPE ne permettra au gouvernement Couillard que de se faire une idée avant d’aller présenter sa position officielle lors des audiences menées par Ottawa via l’Office national de l’Energie (ONE).
‘’Pas dans ma Cour !’’ renchérit la CCM
Bien que «TransCanada» soutient qu’«Energie Est» engendrera des recettes de plusieurs milliards de dollars pour les municipalités et les provinces et pourra contribuer notamment à réduire la dépendance de l’Est canadien au pétrole brut importé, le rejet de ce projet, le 14 janvier dernier, par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a soulevé un vif tollé parmi les responsables et députés des provinces de l’ouest.
En effet, la CMM, qui représente 82 villes de la région montréalaise et près de quatre millions d’habitants, a expliqué par la voix de son président Denis Coderre, également Maire de Montréal, que ce projet comporte des risques importants pour l’environnement et trop peu de retombées pour l’économie de la région, de même qu’il ne respecte pas, non plus, le plan métropolitain d’aménagement et de développement puisqu’il traverse des bois, des milieux humides et des zones agricoles.
Tout en affirmant que la CMM défendra sa position dans le cadre des prochaines consultations du BAPE et de l’ONE sur ce projet, M. Coderre a conclu que le projet «n’obtient pas la note de passage du point de vue économique, social, environnemental et de la sécurité publique».
Tirs nourris sur le Président de la CCM
Aussitôt cette décision rendue publique, les tirs nourris des responsables des provinces de l’ouest concernées par le projet ont commencé à retentir. Ainsi, le ministre albertain du Développement économique et du Commerce, Derons Bilous a déploré la décision de M. Coderre qui «manque de vision», ajoutant que la population de l’Alberta contribue actuellement à la lutte contre les changements climatiques même si elle est confrontée à un très grand défi dû à la chute des cours du brut.
De son côté, le chef de l’opposition en Alberta, Brian Jean, a fustigé M. Coderre en l’accusant d’«hypocrisie», tout en martelant que ce projet profitera à l’ensemble du Canada et améliorera le PIB du pays de 55 milliards de dollars.
Même son de cloche chez le Premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, qui a demandé sur son compte Twitter, sur un ton sarcastique, aux maires de la région de Montréal de rembourser leur part des 10 milliards de dollars de péréquation auxquels les provinces de l’ouest du pays ont contribué.
Philippe Couillard solidaire avec la CCM
Réagissant à ces propos, le Premier ministre québécois Philippe Couillard a déploré les déclarations de M. Wall, soulignant qu’elles ne visent qu’à «faire naître de l’animosité inutilement entre les régions et provinces du pays», qualifiant de tout à fait «légitime» la position prise par les maires de la CMM.
«Ce n’est pas parce qu’ailleurs au Canada, les projets de pipeline comme ‘’Keystone XL’’ ont été rejetés que le Québec est obligé de dire oui à ‘’Energie Est’’», a-t-il dit.
Pour sa part, l’opposition au niveau fédéral n’a pas raté cette occasion pour critiquer le laxisme du gouvernement Trudeau, puisque la députée albertaine et chef par intérim du Parti Conservateur, Rona Ambrose a soutenu, lundi devant la Chambre des Communes, que ce rejet «nuit à l’unité du pays», tout en appelant M. Coderre à considérer le projet en se basant sur la «science» plutôt que sur la «pure politique locale».
Elle a, aussi, demandé à M. Trudeau s’il est réellement conscient que «son manque de leadership sur cet enjeu allait créer des divisions» au pays, tout en le sommant de se porter publiquement à la défense des projets d’oléoducs.
Trudeau temporise et se réserve le rôle ‘’d’arbitre’’
Imperturbable, M. Trudeau lui a répliqué en réitérant que son gouvernement consulterait les provinces, les villes et les communautés pour s’assurer d’avoir l’«acceptabilité sociale» et l’«approbation communautaire» pour tout projet de pipeline.
Dans une autre tentative de calmer les esprits, il a également tenu, fin janvier 2016, à Montréal, une rencontre avec M. Coderre, à l’issue de laquelle il a déclaré que son équipe gouvernementale agira en «arbitre responsable» dans ce dossier, affirmant toutefois qu’il revient à la compagnie «TransCanada», et non au gouvernement fédéral, de convaincre la population canadienne que ledit oléoduc est «dans l’intérêt de tous».
Il a, dans ce cadre, expliqué que le rôle d’Ottawa est de mettre en place un processus d’évaluation environnementale «clair, rigoureux et transparent» par lequel TransCanada ou toute autre compagnie pourrait démontrer qu’un projet pétrolier est dans l’intérêt public et d’avoir l’approbation des Canadiens. Un processus, a-t-il dit, qui permettra aussi aux Canadiens, aux différents paliers de gouvernement, aux scientifiques et experts et aux peuples autochtones de se prononcer et participer à la prise de décisions concernant de tels dossiers.
Julia Gelfand : L’ONE ne fait pas ses devoirs
Malgré ces propos, un rapport de la Commissaire à l’environnement et au développement durable, Julia Gelfand, publié le mis dernier, est venu jeter un pavé dans la mare, en confirmant que les pipelines de compétence fédérale ne sont pas assez surveillés par l’ONE et qu’il n’y a pas suffisamment de suivi effectué pour savoir si les exigences imposées aux compagnies pétrolières sont respectées dans la construction des oléoducs.
Elle a précisé que l’ONE «ne surveillait pas adéquatement la conformité des compagnies aux conditions imposées lors de l’approbation des projets de pipelines», ajoutant que l’office n’a pas effectué le suivi nécessaire après l’approbation des projets dans la moitié des cas examinés (24 cas sur 49).
Selon elle, même quand l’ONE effectuait les suivis, il les faisait avec «des systèmes désuets et inefficaces».
Avec ces conclusions alarmantes de la Commissaire canadienne à l’environnement et les réactions entourant le projet «Energie Est», les semaines et les mois à venir s’annoncent cruciaux pour le gouvernement Trudeau en vue de résoudre ce dossier et concilier le développement économique, basé notamment sur l’exportation des ressources naturelles de manière sécurisée et responsable, et le développement durable axé sur la lutte contre les dérèglements climatiques, et qui fait partie des principaux engagements internationaux des Libéraux.
Rédaction de MCE, Maghreb Canada Express, Vol. XIV, N° 02, pages 4-5, FÉVRIER 2016
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