Si Angéla Merkel a intégré bon nombre de réfugiés syriens en Allemagne, il en reste quelques millions qui essaient de survivre chez les Turques. Ces derniers les tolèrent à peine, et font tout pour les dissuader de partir.
La Turquie n’en peut plus, car c’est le pays qui accueille le plus de réfugiés au monde. Il y a environ trois millions de Syriens en Turquie, selon un chiffre officiel, qui grimpe à 5 millions, si l’on y ajoute les réfugiés d’autres nationalités, notamment des Afghans.
Alors, pour tenter d’apaiser ce sentiment anti-réfugiés, les autorités turques ont pris une mesure inédite: les Syriens enregistrés dans le pays n’ont pas le droit de faire l’aller-retour avec la Syrie pendant les fêtes de fin du ramadan, qui ont commencé le mois de mai, comme une petite partie d’entre eux le faisaient chaque année.
Cette décision est intervenue après une énième polémique déclenchée par le principal parti d’opposition, le CHP, le Parti républicain du peuple, créé par Mustafa Kemal Atatürk. Son dirigeant, Kemal Kiliçdaroglu, a promis, une fois de plus, de renvoyer tous les Syriens chez eux en cas de victoire aux élections de l’an prochain, alors que les autorités – à commencer par le président Erdogan – répètent jusqu’ici qu’il n’est pas question de les renvoyer contre leur gré, tant que leur pays ne sera pas en paix.
Le purgatoire
Cette surenchère anti-réfugiés inquiète beaucoup Shady Eed, un artiste syrien qui vit à Istanbul depuis 10 ans. Ce dernier n’avait pas prévu de rentrer en Syrie pour l’Aïd el-Fitr. Mais les polémiques à répétition dans l’arène politique et sur les réseaux sociaux renforcent chez lui le sentiment d’être « coincé » dans un entre-deux.
Il utilise le mot « Araf » qui signifie, dans l’Islam, l’endroit situé entre le paradis et l’enfer : le purgatoire.
« C’est la situation de ceux qui ont quitté la Syrie. En Turquie, si vous vous habillez bien, on dit : ‘Regardez ces Syriens, ils prennent du bon temps !’ Quand vous n’êtes pas bien habillé, on dit : ‘Regardez leur accoutrement, ils ne savent pas se tenir !’
– Quand vous trouvez un emploi, on dit : ‘’Et voilà encore un Syrien qui vole notre travail !’’
Quand vous ne travaillez pas, on dit : ‘’Quels fainéants, ces Syriens !’’
– Même si j’ai fait un doctorat en Turquie, même si je suis artiste et même si je parle plusieurs langues, je suis coincé à Istanbul. Je ne peux pas quitter la ville pour effectuer des recherches universitaires. Je ne peux pas quitter le pays pour exposer mes œuvres ailleurs. En Europe, de toute façon, personne ne veut de nous… Quoi qu’on fasse, c’est sans issue », déplore-t-il.
Comme les autres Syriens de Turquie, le peintre ne bénéficie pas du statut de « réfugié » à proprement parler, mais d’une « protection temporaire ».
Une protection qui, certes, lui offre des droits, tels que l’accès aux soins, à l’éducation, au marché du travail, mais avec d’immenses lacunes. Ce statut l’empêche par exemple de sortir de sa province d’enregistrement, à savoir Istanbul.
Shady et ceux de ses compatriotes qui ne souhaitent pas participer à l’un des programmes de « retour volontaire » en Syrie mis en place par les autorités turques sont donc bel et bien coincés, physiquement et mentalement. Et vu l’attitude de l’opposition, l’artiste appréhende beaucoup la campagne pour les élections législatives et présidentielle de juin 2023.
L’Union Européenne donne une allocation d’environ 80 euros tous les mois aux réfugiés syriens qui vivent en Turquie, mais cette allocation bien maigre ne leur permet pas de s’en sortir, car c’est difficile de trouver du travail dans un pays où une grande partie de la population impute tout son malheur à ces pauvres syriens qui n’ont pas choisi l’exil de gaieté de cœur.
Avec la guerre en Ukraine, aussi qu’avec les élections en Turquie qui ne facilitent pas les choses, le problème des réfugiés syriens est passé au second plan .
Par Mustapha Bouhaddar, pour Maghreb Canada Express, Vol. XX, N°06 , page 6, MOIS DE JUIN 2022 .