Le système de retraite français est-il réellement l’un des plus avantageux d’Europe, comme le laisse entendre le gouvernement ? Travaille-t-on moins longtemps qu’ailleurs, comme le dit le président de la République, Emmanuel Macron ? Faut-il repousser l’âge légal de départ, comme vient de l’annoncer la première ministre, Elisabeth Borne ?

Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po et auteur, n’est pas de cet avis et pour plusieurs raisons : D’abord, la France n’est pas le seul pays où l’on peut partir à la retraite à partir de 62 ans; C’est également le cas en Suède (où ce sera bientôt à 63 ans) et dans la plupart des pays qui ont adopté des systèmes de départ dits «à la carte» : Plus on part tôt, moins la retraite est élevée et vice-versa.

La deuxième raison, c’est qu’en France, on a deux âges de départ à la retraite : Celui auquel personne ne peut vous empêcher de partir (62 ans) et celui auquel on ne vous impose plus de décote, y compris si vous n’avez pas cotisé suffisamment longtemps (67 ans). Or, le deuxième âge est plutôt tardif. Dans beaucoup d’autres pays européens, il se situe plutôt aux alentours de 65 ans.

D’après Bruno Palier, l’âge minimum du départ à la retraite n’est pas un bon indicateur. Mieux vaut prendre en compte l’âge effectif de départ à la retraite . De ce point de vue, on part un peu plus tôt qu’ailleurs, mais pas de beaucoup. L’âge moyen se situe aux alentours de 63 ans dans le secteur privé (selon les chiffres de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse pour 2021) et un peu moins dans le secteur public, sachant que les femmes partent en moyenne quelques mois plus tard que les hommes. Les chiffres sont du même ordre en Italie et en Belgique.

En Allemagne ou en Suède, c’est près de deux ans de plus. Les différences d’âge effectif de départ à la retraite sont moins importantes qu’on ne le dit souvent. Pour les comprendre, il ne suffit pas de comparer les régimes. Il faut aussi observer le marché du travail et le comportement des entreprises.

En France, on présente les choses comme si les salariés avaient le choix, mais ce n’est souvent pas le cas. Dans le privé, ce sont les employeurs qui décident d’embaucher ou de ne pas embaucher des seniors, de les garder, de s’en débarrasser, de former les gens après 45 ans… Bref, ce n’est pas le salarié qui décide d’investir dans l’amélioration des conditions de travail. Or, ce sont les politiques de ressources humaines, de formation et de condition de travail des entreprises qui conditionnent en grande partie l’âge de départ effectif. C’est donc du ressort des entreprises, mais aussi des pouvoirs publics, qui en fixent certaines règles et définissent les priorités.

Pour un homme moyennement ou très qualifié qui a fait une carrière complète, il l’est assurément. Dans les mêmes conditions, on obtient sans doute moins ailleurs. Mais dans le cas d’une femme peu qualifiée qui a commencé tôt et qui travaille à temps partiel, ce n’est pas le cas.

Le système de retraite français est inégalitaire.

Les pensions de droits directs des femmes, c’est-à-dire ce à quoi donnent droit leurs cotisations, sont près de 40 % moins élevées que celles des hommes, alors que l’écart salarial se situe entre 17 et 20 %. La différence est donc doublée après la retraite. Dès qu’on n’est pas dans la norme de la carrière typique, globalement celle d’un homme plutôt qualifié qui a toujours travaillé à temps plein, le système démultiplie les inégalités. Or ce n’est pas toujours le cas dans les autres pays européens.

Les Français ont défilé dans la rue le 31 janvier dernier, mais il ne faudrait pas se faire d’illusion: la réforme des retraites va passer; le gouvernement observera les manifestants exprimer leur mécontentement comme d’habitude, avant de leur faire avaler  la pilule.

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express , Vol. XXI, N°02, Page 04, Édition de FÉVRIER 2023.

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