Par Abderrafie Hamdi
Il y a des mots qui font plus de mal à la démocratie que bien des actes. Lors du rassemblement de son parti, en ce 1er mai à forte portée symbolique, Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et secrétaire général du PJD ,a choisi de désigner comme « ânes » et « microbes » ceux qui ne partagent pas son analyse de la tragédie en cours à Gaza.(véritable opération d’extermination des palestiniens par les forces d’occupation israéliennes .)
Ce n’était ni un dérapage improvisé, ni une colère passagère. C’était une prise de parole réfléchie, dans un cadre officiel, devant des militants et des citoyens.
Ce type de scène appelle au sens de l’histoire, à la gravité, à la retenue. Il appelle surtout à une parole politique à la hauteur des responsabilités. Ce ne fut pas le cas.
Au même moment, dans la petite commune de Beni Ammar, près de Moulay Idriss Zerhoun, se tenait un festival local en hommage à… l’âne. Un événement à la fois culturel, artistique et ironique, qui célèbre un animal longtemps moqué, relégué à la marge, mais si profondément lié à l’imaginaire rural marocain. Cette année, le prix a été décerné à un âne nommé « Shahrukh Khan », clin d’œil à la star de Bollywood. Pendant que certains redonnent symboliquement de la dignité à ce qui est oublié, d’autres en font une arme de mépris.
La coïncidence est saisissante, mais elle révèle quelque chose de plus grave : une dégradation continue du langage politique. Car les mots ne sont jamais neutres. Le vocabulaire qu’emploie un dirigeant en dit long sur sa vision du débat public, de l’altérité, et de la démocratie elle-même. On peut avoir des convictions fermes, dénoncer l’horreur, appeler à la justice – mais sans piétiner les fondamentaux du respect et du dialogue.
Raymond Aron disait :
« C’est par le langage que l’homme politique révèle ce qu’il est vraiment. »
Ce n’est donc pas qu’une affaire de forme. C’est une question de fond. De culture démocratique.
Le discours politique n’est pas un défouloir. Il est un outil de construction collective. Les meetings, les congrès, les rassemblements ne sont pas des huis clos entre partisans, ce sont des moments fondateurs dans la vie démocratique d’un pays . Y proférer des insultes, c’est dégrader non seulement le débat, mais aussi la fonction politique elle-même.
On n’improvise pas une parole publique. On l’assume. Et lorsqu’on en fait un instrument d’humiliation, on trahit ce qu’est censée être la politique : un espace pour la confrontation d’idées, pas une arène pour écraser les voix divergentes.
Il faut le redire, avec fermeté : on ne défend pas une cause juste .en recourant à l’injure .
Ce n’est pas seulement une question de style. C’est une question de démocratie.