Par Abderrafie Hamdi (Rabat, Maroc)
La tradition des « cent premiers jours » de présidence remonte à Franklin D. Roosevelt, qui avait initié cette manière d’évaluer l’élan initial d’un mandat. Mais jamais, depuis Roosevelt, ces cent jours n’auront autant retenu l’attention que ceux de Donald Trump en 2025. De retour à la Maison-Blanche dans un contexte de polarisation extrême, Trump ne se contente pas de gouverner. Il défie l’establishment, recompose les équilibres, et secoue les certitudes de l’ordre mondial.
Ceux qui le prenaient pour un simple tribun, pour un homme de spectacle plus à l’aise avec les caméras qu’avec les dossiers, doivent aujourd’hui revoir leur jugement.
J’étais moi-même enclin à cette lecture. Et lorsque je l’ai évoquée, dans les tout premiers jours de son investiture, lors d’un échange informel en marge d’une rencontre internationale avec l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, ce dernier n’a pas hésité à affirmer : « L’Amérique et le monde viennent d’entrer dans une ère nouvelle. Le rythme des surprises trumpiennes ne fera que s’accélérer. L’action primera toujours sur la parole. »
En quelques semaines à peine, Trump a lancé une série de mesures concrètes qui montrent une chose : il agit plus qu’il ne parle, et ce qu’il fait traduit une vision. Vision brutale parfois, clivante souvent, mais vision tout de même.
Un Trump qui déclare la guerre à « L’État Profond » »
L’un des premiers constats du président Trump dans ce second mandat est que son véritable adversaire n’est plus l’opposition démocrate ni même les médias, mais bien ce qu’il appelle lui-même “l’État profond”. Cet appareil administratif, ancré dans les usages et les lenteurs, hérité de la bureaucratie européenne, freine — selon lui — l’élan américain fondé sur l’audace, l’initiative et la puissance.
Trump ne veut plus gérer l’État, il veut le réinventer. Il l’a dit : “Je ne suis pas venu pour continuer ce qui existe, mais pour remettre l’Amérique sur les rails.” Il ne croit pas au compromis lent, à la technocratie hésitante. Il pense en entrepreneur, pas en diplomate.
Ce qui frappe dans ce début de mandat, c’est le retour brutal à une logique de souveraineté absolue. Le protectionnisme, la fermeture aux flux migratoires, la mise à distance des alliances traditionnelles (OTAN, ONU, accords climatiques), tout cela n’est pas improvisé. C’est le cœur d’une stratégie. Trump ne cherche pas à renforcer l’ordre mondial, il cherche à en sortir.
Il y a ici un paradoxe fascinant : cet homme d’affaires, que l’on aurait cru favorable au libre-échange, se révèle être un idéologue de la frontière, du contrôle, de la re-nationalisation. Le marché, pour lui, n’est pas une ouverture sur le monde, mais un outil au service des intérêts nationaux. Une logique qui rétrécit le multilatéralisme et amplifie le chacun pour soi.
Mais Trump n’est pas qu’un phénomène américain. Depuis sa première élection, il est devenu une référence, parfois même une idole, pour tous les leaders populistes de la planète. Bolsonaro, Orban, Le Pen, Modi, Milei : chacun à sa manière s’est inspiré de sa posture, de son langage, de son mépris des institutions traditionnelles.
La question est donc globale : si Trump réussit à imposer sa méthode, alors les populismes du monde entier se sentiront renforcés, légitimés, autorisés à franchir les lignes rouges. Mais si son projet échoue, si les résistances internes ou les échecs concrets s’accumulent, alors peut-être que la politique retrouvera ses repères : l’écoute, la modération, la construction.
Le danger, avec le trumpisme, n’est pas uniquement institutionnel. Il est aussi moral. Lorsque le langage devient agressif, que le dialogue cède la place à l’insulte, que l’autre n’est plus un adversaire mais un traître, la démocratie perd son âme. Trump, en banalisant cette brutalité dans la parole et dans l’action, fait courir un risque immense à l’idée même de la chose publique.
En un mot : Trump, ce n’est pas seulement un président. C’est un test. Un test pour l’Amérique, pour la démocratie, pour l’équilibre du monde. Un test qui commence avec fracas, mais dont nul ne peut encore prédire l’issue.