Par Mustapha Bouhaddar
Il faut savoir qu’une caissière qui travaille dans une enseigne comme « Lidl », touche 3000 euros net par mois ; le salaire d’un directeur de la même enseigne en France.
J’ai récolté le témoignage de Sophia Atraoui, une franco-marocaine, grâce à mon amie Jamila El Habchi, que je remercie au passage.
Sophia Atraoui a sillonné le monde depuis son jeune âge, car ses parents sont commerçants itinérants. Elle est née à Marseille, a grandi à Annonay (07) et a fait une partie de ses études a Montpellier et à Paris. Elle a ainsi développé cette non-barrière, et se dit que le monde n’a pas de frontière. Ensuite elle s’est installée à Montreux en Suisse. Elle est assistante trader dans une société de courtage. Son souhait est devenir elle-même trader, et travailler à Singapour.
C’est une fille joyeuse et pétillante qui aime le sport extrême et la mode. Elle adore aussi son pays d’origine le Maroc.
Voici son témoignage :
« Après avoir fini mes études à Paris, j’étais dans une situation plus ou moins précaire. Mais heureusement à ce moment là, on m’a proposé un poste dans une société de trading basée à Montreux. Après avoir réussi mon entretien, j’ai pris conscience de la chance que j’avais. En effet, on me proposait un emploi avec début de carrière à 3500 frs suisse brut, ce qui correspondait à 3000 euros. C’était une somme très intéressante pour une débutante.
J’ai de suite sauté sur l’occasion, et saisi cette opportunité.
Une fois arrivée sur place, il fallait chercher un logement, très gros problème en Suisse, car pour un logement on peut tomber sur plus de cent candidats ! Et malheureusement les agences par qui nous avons l’obligation de passer fonctionnent avec piston ! (Et oui ! Même en Suisse).
J’ai quand même réussi à en obtenir un avec acharnement et piston.
Pour en revenir au niveau de vie, la Suisse ne connaît pas du tout la crise. En revanche, la vie est trois fois plus chère qu’en France. Car il y a énormément de taxes.
Quand on est ressortissant français, la commune délivre un permis de séjour d’une durée de cinq ans quand on signe un CDI. Ce qui permet aussi de payer des impôts dites à la source. Et oui ! Il y a bien des impôts en Suisse, ce n’était pas un mythe.
Entre un salaire brut et un salaire net, il y a un retrait de 500 euros sur le salaire. En revanche, le système de cotisation est assez bien géré pour la retraite, et si jamais, je quitte la Suisse avant, je récupère le montant cotisé ! Un grand manque par rapport à la France, sont les couvertures de santé. Malheureusement, le système français est bien envié ici.
En effet, il faut souscrire dès notre arrivée à une assurance maladie (200 euros par mois), pour avoir accès aux soins que l’on doit payer de sa poche. Et ici la consultation n’est pas moins de 100 euros ! Mais si un accident de la vie arrive en dehors du travail (même le week-end), l’assurance maladie de l’employeur prend tout en charge.
Concernant le climat social, on retrouve une certaine paix entre les gens, c’est un peu les bisounours, aucune oppression, ni d’amalgame.
Les Suisses sont méfiants au premier abord, en revanche, une fois le lien établi, on se rend compte que ce sont des gens très attachants.
Revenir vivre en France ? Je pense que si aujourd’hui on me propose un poste équivalant, et qu’on me double le salaire, et bien je ne reviendrai pas. Car, c’est un pays étouffant ! Et ici, je trouve que les gens ne focalisent pas sur un problème imaginaire comme les Français.
Le salaire oui, mais prendre le temps de vivre, ça n’a pas de prix. »
D’après Jean-Michel Floch, département de l’Action régionale, Insee, dans son étude intitulée « Vivre en deçà de la frontière, travailler au-delà », c’est lui qui souligne : « Environ 320 000 résidents de France métropolitaine traversent la frontière pour aller travailler dans un pays limitrophe. Essentiellement à destination de cinq pays : la Suisse, le Luxembourg, l’Allemagne, la Belgique et Monaco. Les navettes sont très limitées avec l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. À l’inverse, seulement 11 000 personnes viennent travailler en France (la moitié de Belgique, les autres d’Espagne, d’Allemagne et d’Italie).
Au cours de la dernière décennie, les navettes ont fortement augmenté avec la majorité des pays de destination, tout particulièrement avec la Suisse et le Luxembourg. Seules les navettes avec l’Allemagne sont en recul.
La Suisse est de très loin la destination principale puisqu’elle attire 135 000 personnes, le Luxembourg venant en deuxième position. Les différences de salaires entre ces deux pays et la France sont la principale cause de ces migrations. Malgré des frontières communes étendues, il y a moins de déplacements vers l’Allemagne et la Belgique. La situation de Monaco est particulière du fait de son enclavement et de sa petite taille.
Les autres mouvements vers la Suisse ont lieu en direction des deux cantons, de Vaud où de nombreuses communes sont concernées, et de Neuchâtel, la ville privilégiée étant La Chaux-de-Fonds. Dans ces deux cantons, le nombre de trajets entre un domicile français et un emploi suisse ont fortement augmenté bien qu’on ne soit plus ici dans un contexte d’agglomération transfrontalière comme pour Genève et Bâle, mais dans une localisation plus dispersée.
Les variations de populations actives peuvent être décomposées simplement : elles résultent de l’évolution de l’emploi sur place, du nombre de chômeurs et des navettes domicile-travail. Les zones d’emploi du Genevois français et de Longwy, où le travail frontalier joue un rôle décisif, permettent d’illustrer les différences.
Dans le Genevois français, le nombre d’actifs sur longue période n’a cessé d’augmenter, sous l’influence en particulier de fortes migrations résidentielles en provenance d’autres régions. L’emploi local n’a pas cessé d’augmenter, tout comme les migrations domicile-travail en direction de la Suisse. Les possibilités offertes dans l’espace genevois contribuent à l’attractivité de la zone.
Dans la zone d’emploi de Longwy, il y a eu longtemps un gros déficit migratoire, sauf dans la dernière période inter-censitaire. La stabilisation des emplois et du chômage dans la zone est liée à l’accroissement des navettes. L’emploi transfrontalier offre une solution aux problèmes liés à la perte des emplois industriels. »
Rejet du frontalier franco-suisse? Pas si sûr. Ainsi, chez HTP, une entreprise de construction de la banlieue genevoise dont un tiers des 70 salariés est de nationalité française, on réfute les déclarations d’une responsable de recrutement reprises par le journal suisse et selon lesquelles les Français sont souvent malades le lundi et le vendredi : « Pas chez nous en tout cas, avance cette salariée… suisse. D’ailleurs, s’ils ne travaillaient pas bien, les Français ne seraient pas en si grand nombre. » Elle y voit plutôt l’activisme du Mouvement citoyen genevois, parti politique classé à l’extrême droite, désirant stigmatiser les travailleurs frontaliers. D’autant plus surprenant que le taux de chômage dans la Confédération plafonne à… 2,9% !