Le monde de l’intérim continue à être mal vu dans la société. Il est toujours lié à des images négatives dans la mémoire collective. Pour la rentrée littéraire Mustapha BOUHADDAR, nous propose un roman sensationnel, intitulé « Les tribulations d’un intérimaire » publié aux Éditions « Mon Petit Éditeur ».
Dans ce roman, Mustapha Bouhaddar relate le quotidien d’un jeune homme tombé par hasard dans le monde de l’intérim. Il y propose une vision philosophique du travail temporaire, en mettant l’accent sur la vie de tous les jours, et accorde beaucoup d’importance aux relations humaines. Un roman chargé de messages, d’optimisme, et accepte une multitude de lectures.
Qui est Mustapha BOUHADDAR ?
Mustapha Bouhaddar : Mes parents sont originaires du sud du Maroc, ils ont émigré en France dans les années 60. J’ai grandi à Paris où j’ai fait toutes mes études, et c’est dans cette ville mythique que j’ai découvert la littérature française à travers Balzac, Victor Hugo, Flaubert, Proust et pleins d’autres.
L’homme puis l’écrivain ? – D’où vient votre passion pour la littérature ?
M.B : En fait mes parents sont indirectement responsables de ma passion pour la littérature. En effet, mon père qui possédait un magasin d’alimentation faisait des livraisons à domicile pour ses clientes. La plupart de ces dernières étaient aisées, et possédaient des bibliothèques bien garnies de livres. Et comme elles savaient que mon père a un fils qui va à l’école, elles lui offraient pleins de livres. On n’avait pas de télévision à la maison et je suis fils unique. Je tournais en rond dans ma chambre, et je feuilletais les livres que me ramenait mon père. Le premier livre que j’ai lu est « Les misérables » de Victor Hugo, et puis s’en suivait toute une série d’autres ouvrages de littérature étrangère. Mes copains d’école lisaient beaucoup de bandes dessinées, mais moi je dévorais tous les livres qui me tombaient sous la main, et en majorité écrits au 19ème siècle. C’est devenu une drogue. Je ne peux pas imaginer à l’époque une journée sans lecture.
Un mathématicien passionné de littérature, comment avez-vous concilié entre une science exacte et la littérature qui est souvent liée à l’imaginaire, l’utopie … ?
M.B : Il se trouve que j’étais très bon en mathématiques, et aussi en Français et en Histoire. Et pour être honnête, en ce qui concerne les maths, je n’avais pas besoin de fournir beaucoup d’efforts à l’école pour avoir de très bonnes notes. Les maths pour moi, c’était comme un jeu d’échecs que j’ai appris avec mon grand-père au Maroc quand j’étais petit. Les maths sont comme on dit une science exacte, 2+2 = 4, et en littérature on peut dire pourquoi pas 5 ?
En effet, en littérature on ne se refuse rien, l’infini n’existe pas, la temporalité non plus. On a entre les mains beaucoup de champs d’action. J’aime aussi les maths, car c’est une grande gymnastique pour le cerveau. J’ai une préférence pour les matières mathématiques qui font appel à la déduction et le tâtonnement. Jeune étudiant à l’université où j’ai eu mon doctorat, je passais des heures à essayer de résoudre des différentiels. J’aimais bien ça. La littérature c’est de l’imaginaire, et aussi une bonne thérapie pour un fils unique comme moi. S’il n’y avait pas les livres pour soigner ma névrose, je serai devenu dépressif ou schizophrène comme la majorité des enfants uniques.
Venons-en au roman. Comment vous est-il venu l’idée de traiter le sujet de l’intérim ? Cela a-t-il un lien avec une expérience personnelle ?
M.B : Quand j’ai débuté ma première année à l’université, j’étais hébergé, nourri, et blanchi par mes parents. Mais un jour ces derniers ont décidé qu’il était temps de rentrer au pays, car ils estimaient qu’ils avaient assez travaillé en France. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul, sans logement, et j’avais juste une maigre bourse pour vivre. J’ai trouvé du travail en passant par des agences d’intérim. Auparavant, j’avais envoyé mon CV à beaucoup de sociétés, et la réponse était négative à chaque fois. Le milieu d’intérim est un tremplin pour les jeunes issus de l’immigration comme moi. Mais il a aussi des côtés négatifs, car on colle souvent aux intérimaires une étiquette, à savoir que ce sont des individus fainéants qui pratiquent l’intérim parce qu’ils n’ont pas envie de travailler. J’avais fait l’intérim en parallèle avec mes études, et je me suis promis qu’un jour, j’écrirai un livre pour rendre justice aux intérimaires, et c’est ce que j’ai fait avec ce livre.
Tout au long du roman on trouve des références, des renvois et des citations d’hommes de lettres ; arabes et occidentaux, comme Omar Khayyam, Proust, et bien d’autres. Devons-nous comprendre que votre passion pour la littérature pour toute la littérature est avec un « L » majuscule ?
Comme je le raconte dans le livre, j’ai beaucoup fréquenté des étudiantes étrangères à la Sorbonne où je passais mon temps libre avec mes amis. Grâce à ces étudiantes, j’ai élargi ma culture littéraire, en découvrant des écrivains irlandais comme Joyce, ainsi que beaucoup d’autres écrivains allemands, russes, iraniens, italiens, et américains. J’ai eu un grand coup de foudre pour Khayyâm quand j’ai découvert ses quatrains, et ses pensées philosophiques. C’était aussi un mathématicien et un astronome hors pair. Et pour répondre à votre question, oui j’ai une relation viscérale avec la littérature.
« Les tribulations d’un intérimaire » est un titre parlant et annonciateur. Y a-t-il une intention derrière le choix d’un titre si explicite ?
M.B : Non c’est un hasard ! J’avais lu quelques mois auparavant un roman qui s’intitule « Les tribulations d’une caissière » d’Anna Sam. Mon livre était en cours d’écriture à cette époque, mais je n’avais pas encore de titre. Et comme dans mon roman le personnage raconte son expérience d’intérimaire dans toutes les entreprises qu’il a fréquentées, et aussi ses aventures amoureuses, et ses années d’études, le mot « Tribulations » s’est imposé tout seul.
Utilisez-vous un schéma narratif ? Si oui, est-ce que vous le modifiez au cours de la production ?
Non pas du tout ! Après de longues hésitations, je me mets devant mon ordinateur, et en fixant la page blanche, je me dis : « Qu’est-ce que je vais pouvoir raconter ce soir ? » Je n’écris que la nuit, jamais le jour, et j’avoue que parfois, une pensée que j’ai relevée quelque part dans la journée peut être un fil conducteur pour écrire une page ou deux, parfois même cinq par nuit.
J’ai vu une fois l’écrivain John Irving dans un documentaire à la télévision. Il était interviewé chez lui dans son bureau par un journaliste. Il a raconté que pour son dernier roman, il a commencé par le dernier chapitre. J’étais impressionné, car moi je ne fais jamais de plan, et je ne sais jamais où je vais, ni quand je vais m’arrêter. J’ai mis deux ans pour écrire « Les tribulations d’un intérimaire », et j’avais même songé un moment tuer le narrateur à la fin du livre. Un ami à qui j’ai fait lire mon manuscrit, m’a reproché d’avoir voulu le tuer. Il m’a dit : « Tu es fou ! Tu n’as pas le droit de le tuer. Sauf si tu as envie d’arrêter d’écrire des livres. »
L’Ecrivain Pragois Franz Kafka a demandé par testament à son meilleur ami Max Brod de brûler ses manuscrits après sa mort. Ce dernier ne l’a pas fait, et je me demande comment Kafka réagirait, s’il revenait et apprenait que son meilleur ami l’avait trahi.
Propos recueillis par Mhammed Lhamidi (Écrivain)