Socrate est réputé être le philosophe qui a su déplacer la philosophie du ciel vers la terre, lors du mouvement qui l’opposa aux Sophistes. Son geste est fort inspirant, maintenant que se fait sentir lourdement l’excès d’un idéalisme aveuglant, face à l’absence des esprits, des notions de la réalité de l’Homme et de son milieu.

Un survol global révèle que le monde musulman souffre d’un excès de religiosité, d’une part, et ,d’autre part, d’une rupture (et d’un net contraste) entre le monde abstrait des idéaux et le monde de la réalité sociale et humaine de tous les jours.
Tous ont tendance à composer, d’une façon excessive et exclusive, avec le monde abstrait des idéaux, sans aucun égard aux enjeux et défis que la réalité sociale engendre. C’est la raison pour laquelle nous constatons une forte disparité entre les idéaux célébrés théoriquement et la réalité du milieu.
Les prêches religieux, les messages en circulation dans les réseaux sociaux ou caractérisant la communication de tous les jours entre les gens révèlent une tendance axée sur les valeurs, symboles et idéaux, sans aucun souci à leur traduction en actions concrètes. Il suffit au citoyen de vanter et professer une religion d’hygiène, pour penser avoir réglé le problème d’hygiène et oublier son devoir de veiller à la propreté de son environnement. Les exemples peuvent s’appliquer sur tous les phénomènes révélateurs de ces contradictions entre les idéaux revendiqués et la réalité du milieu.
Continuellement, ces idéaux sont propulsés par les uns et les autres, tantôt pour manifester une certaine notoriété non reconnue en dehors du religieux, ou pour activer dans l’exclusion ou, pour se vanter, vanter sa religion et se défendre face à l’autre, etc. Toutefois, sans se soucier d’en faire un support de développement et de prospérité sociale. Il suffit de déclarer dans les prêches que : notre religion est la religion d’hygiène, d’amour, de paix, de justesse et de savoir, pour penser avoir réglé tous les problèmes d’hygiène, d’environnement, d’injustice, de violence et d’ignorance, etc. dont souffre la société.

Impact sur le mode de penser et sur le comportement

La perte des notions du réel et du milieu au profit d’un excès d’idéalisme, entraînent à leur tour la perte de la notion de l’interrogation comme clé de savoir. Les gens ont tendance à négliger le questionnement, car ils agissent dans le monde abstrait de l’idéalisme davantage en mode affirmatif plutôt qu’interrogatif.
Aussi, dans le monde abstrait de l’idéalisme, l’Homme a tendance à agir avec le statut de juge et de tuteur irréprochable plutôt qu’avec celui d’acteur social responsable.
Ceci influence aussi les approches et les lectures de l’histoire. Toute l’histoire faite par des Hommes et pour des Hommes est approchée sous l’angle de l’idéalisme, qui empêche de prendre conscience des phénomènes de l’Homme (ses forces et faiblesses) et prive le lecteur d’en tirer des leçons.

Un problème d’approche à l’origine

Ceci révèle la disparation de la notion de l’Homme et de l’approche du milieu du mode de penser; et révèle la crise des sciences sociales.
Tout le monde constate l’échec à mettre en œuvre le corps référentiel d’éthique au profit de la prospérité, de l’épanouissement et du bien-être de l’Homme. Et, pourtant c’est la raison d’être première de l’éthique, de la philosophie et de la religion.

Sur les traces de Socrate

Il va falloir, comme l’a fait Socrate auparavant, inverser l’approche et démarrer de la réalité de l’Homme, du fait social et du milieu, pour aborder l’éthique comme support de solution.
Inverser l’approche, et démarrer du milieu, de sa réalité, de ses problématiques, lui appliquer les outils d’analyse propres aux sciences de l’Homme et lui rechercher en partie des solutions dans le corps abstrait des idéaux, valeurs et éthique, afin d’impliquer cette dernière dans le processus de développement social.
C’est très simple : si je prends l’exemple de l’hygiène et de l’environnement : au lieu de prêcher et de vanter seulement dans l’abstrait les valeurs religieuses de l’hygiène du style (l’hygiène est acte de foi), il va falloir aborder la question à partir de faits réels du milieu, supportés de statistiques, d’images et autres supports pour illustrer la problématique, afin de sensibiliser l’oratoire au problème et l’impliquer dans la voie de solution. Et, pour supporter la solution, impliquer la valeur religieuse et éthique comme support, pour soutenir la mobilisation des citoyens à organiser des campagnes de nettoyage et pour développer en eux une sensibilité au phénomène, etc.

Une affaire d’éducation

Mais sommes-nous assez outillés pour approcher le milieu?
Même si je privilégie parler des faits et des solutions, j’accuse en premier lieu le système éducatif souffrant, lui-même otage et porteur de dogmes et d’idéologies, basculant d’un camp à l’autre et causant tous les dégâts dont souffre la société. Le système éducatif se trouve à l’origine du modelage de cette structure mentale et de cette façon de penser.
Pour que la notion du milieu reprenne sa place dans les façons de penser, il faut développer les apprentissages du milieu. Il s’agit des compétences que l’Homme doit développer à partir de la socialisation et de l’éducation. Il s’agit de développer les compétences de l’observation, de la description, de l’analyse, pour faciliter la résolution des problématiques du milieu.
Il faut démarrer du réel pour évoquer l’idéal, comme référence de solution et non l’inverse.
Renouer avec l’approche du milieu, c’est renouer avec l’apprentissage du milieu. Travailler davantage les compétences de l’observation, de la description et de l’analyse, grâce aux cours appliqués, et aux sorties pédagogiques de terrain. Organiser une sortie à un parc naturel, procéder à des exercices d’observation, suivis d’exercices de description et d’évaluation, seraient certainement d’une grande utilité pour aider l’enfant à développer une sensibilité aux phénomènes naturels, etc. et pour lui permettre ensuite de comprendre la portée réelle d’un précepte religieux et éthique se rapportant à l’hygiène, à l’environnement, etc.

Je me rappelle déjà, et étant jeune au primaire, les cours d’observation que donnait mon défunt enseignant Taleb Yahia. Les cours d’observation ??????? qui consistaient à se mettre devant un tableau thématique (ferme, marché, etc.) et décrire les détails de la scène. Les cours qui développaient l’observation et la description du type rédaction ???????, les sorties vers la palmeraie, les lieux naturels, etc. étaient tous là pour développer les apprentissages de milieu.

Réhabiliter la notion du milieu, c’est aider l’Homme à prendre conscience de son humanité. Réhabiliter la notion du réel, versus l’idéal, aide l’Homme à agir davantage en tant qu’acteur responsable plutôt que juge. …  Pour cela, une réforme urgente du système éducatif s’impose.

Par Dr. Brahim Benyoucef, Expert consultant en Urbanisme et en Sciences Sociales, Maghreb Canada Express, Vol. Xiv, N°01, page 17, Spécial Élections, Montréal (Canada), Déc. 2015 / Janvier 2016.

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