Le dimanche 19 novembre 2017, des informations lugubres provenant de la petite localité rurale de Sidi Boulaalam, située à quelques kilomètres de la ville d’Essaouira, font état de la mort tragique de 15 femmes suite à une bousculade survenue lors d’une opération de distribution de paniers d’une valeur unitaire ne dépassant pas la somme de 150 DH (14 Euros) contenant quelques denrées alimentaires de base, dont notamment la farine de blé.

Parmi les femmes décédées, figurent 8 femmes mariées et 7 femmes veuves qui ont laissé plus de 45 orphelins et orphelines. Le bilan macabre enregistré jusqu’à présent risque d’être alourdi davantage puisque, outre ces femmes innocentes qui ont péri sur place, 5 autres femmes qui y ont été blessées se trouveraient dans un état critique.

Évidemment, et conformément à la règle et l’usage adoptés dans des situations similaires, les autorités marocaines compétentes ont diffusé un communiqué dans lequel on annonce l’ouverture d’une double enquête, l’une judiciaire sous la supervision du Parquet en vue de déterminer les circonstances de l’incident et d’établir les responsabilités et l’autre administrative qui devrait être supervisée par une cellule du ministère de l’Intérieur.

Comme tout marocain et tout être humain, je suis de tout cœur avec les proches et les amis des victimes. Je n’ai pas de mots pour qualifier l’impact et le choc ressenti suite à cette catastrophe. A l’instar de tout être humain qui ressent la douleur des autres, je suis profondément affligé et je m’associe à toutes et à tous ceux qui prennent part à l’affliction des membres des familles frappés par ce deuil inattendu avec lesquels je partage la même douleur et la même peine.

 La mort a la particularité d’être juste. Elle ne choisit pas ses candidats. Le riche, le jeune, le vieillard, la femme, l’homme comme l’enfant sont tous traités sur un même pied d’égalité. Mais, le fait d’accepter la déchéance et la mort ne doit pas nous obliger à fermer les yeux et nous taire. Les circonstances et les causes de la mort doivent être élucidées pour éviter les erreurs humaines qui contribuent à la disparition tragique d’un groupe de personnes. Dans un drame comme celui de la localité de Boulaalam, certes il y aurait la fatalité, le sort et le destin, mais il y a aussi la pauvreté et la précarité, l’égoïsme, la mentalité et la culture de l’assisté, l’insouciance, l’erreur humaine, l’obscurantisme et les objectifs non avoués ainsi que le manque d’encadrement d’une foule devenue soudain incontrôlable ……

Pour toutes ces raisons et autres, le drame survenu à Sidi Boulaalam doit nous interpeller tous… sans aucune exception. Il doit être analysé, d’une façon sereine, profonde et objective pour en tirer les leçons et les enseignements qui peuvent aider les responsables marocains à faire de notre pays, une terre pour tous où l’être humain ne meurt pas piétiné, à cause d’un panier de denrées alimentaires.

Considérer la tragédie de Sidi Boulaalam comme un fait banal, qui peut se produire à n’importe quel moment et dans n’importe quel pays de la planète, serait une fuite en avant dangereuse et irresponsable, qui risquerait de faire du Maroc un pays de paradoxes et d’aberrations.

Le 8 novembre dernier, un satellite marocain de l’observation de la terre a été mis en orbite. En 2018, le TGV- Maroc entrera en service. Depuis quelques années, le Maroc cherche à se positionner parmi les pays industrialisés du monde en misant sur le développement de certaines industries qui font appel à une technologie de pointe telles que l’automobile, l’aéronautique et l’électronique …

Le dimanche 19 novembre 2017, le Maroc a vécu une catastrophe « qui risque de le tirer vers le bas » et altérer l’image de marque dont il jouit dans le monde. C’était un vrai drame de pauvreté, sans rapport avec le Maroc dont nous rêvons. Quinze femmes, issues des milieux les plus pauvres et des couches les plus défavorisées de la région d’Essaouira et même d’Agadir, ont fait l’objet d’une mort tragique et cruelle, en allant chercher des paniers de denrées alimentaires, que distribue annuellement un mécène issu de la région. Selon un témoin oculaire, même lorsqu’il y avait des personnes allongées sur terre, les gens continuaient de se disputer et de se bousculer pour récupérer les denrées promises. La pauvreté fait perdre à l’Homme sa fibre humaine et ses nobles sentiments. Et, c’est un fait malheureux et grave qu’il ne faut absolument pas ignorer ou occulter. Par ailleurs, selon certaines déclarations faites par des gens de la région, la foule ne cherchait pas seulement à récupérer des denrées alimentaires mais surtout « l’aura du cheikh » que devrait véhiculer le panier.

Mourir pour quelques kilos de farine de blé dans un pays où le développement agricole a toujours figuré parmi les priorités nationales, un pays qui produit, annuellement, une quantité importante de produits alimentaires, un pays qui a toujours cherché à se mettre à l’abri des famines meurtrières et désastreuses, est un fait inadmissible qui exige une nouvelle stratégie économico-sociale pour corriger, ou du moins atténuer, les effets néfastes d’une répartition des richesses qui laisse beaucoup à désirer.

Driss Basri, l’ex puissant ministre de l’Intérieur sous le règne de Feu Hassan II, avait qualifié de «martyrs del Koumira» (martyrs de la baguette de pain), les victimes des émeutes sanglantes qu’a connues la ville de Casablanca le 20 juin 1981. Aujourd’hui, et 36 plus tard, 15 femmes ont été cruellement piétinées en allant chercher de la farine. Évidemment, les circonstances, le contexte et l’objectif ne nous autorisent pas à faire une comparaison acceptable et responsable entre les deux drames, mais ceci ne nous dispense pas du Devoir de plaider en faveur d’une ferme volonté politique devant se traduire par des actions gouvernementales concrètes et sérieuses pour arrêter l’hémorragie et pour qu’il n’y ait plus d’autres « martyrs » à déplorer, à cause de la pauvreté autant qu’à cause de la « guerre des routes ».

Par Ahmed Saber pour Maghreb Canada Express

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